mercredi 29 juin 2011

POSTURE D'EVEIL



L'aube. Aube des consciences et du corps. Silhouettes sombres, immobiles, assises droites sur leurs coussins ronds, jambes croisées, genoux au sol, nuques droites, yeux mi-clos, souffle lent et profond.


Calme, calme. Silence.

Troublé parfois - mais peut-on dire qu'un chant d'oiseau trouble le silence - par la voix rauque du maitre qui commente lentement, des textes sacrés archaiques, pénétrés d'une sagesse aussi vieille que l'univers.


Dans le corps, tensions, chaleurs, ondes diffuses et rayonnantes qui vont et viennent de centres en centres, éveillant organes et chakras : énergies subtiles dont on prend conscience... Est-ce cela la vraie conscience, cette façon de penser du tréfonds de la non-pensée? L'être devient alors son propre miroir, laissant alterner fantasme et réalité nue, intuitions fulgurantes et vide intérieur qui se répand en soi comme une mer d'ondes calmes.


Où est le soi, où est l'illusion? Les phénomènes et leur essence se mêlent alors dans cette posture de Bouddha qui trace une boucle entre le défini et l'infini.


Ici, dans le dojo, on est ensemble. Et seul, tout à la fois. Mais le dojo, ce lieu où se pratique la Voie, celle qui est sous vos pieds, celle qui apparait et disparait d'instant en instant, celle qui s'attache à notre souffle, à notre vie, le dojo peut se retrouver partout, là où un être humain veut s'arrêter un temps, s'asseoir sans rien faire, devenant ainsi centre du cosmos : dans cette posture-là, la vie quotidienne prend son sens car, au sein de l'action, la méditation, la magnifie. Et l'enracine.


Connais-toi toi-même, et tu connaitras l'univers, dit l'adage tant de fois repris à travers les siècles : ici et maintenant, en za-zen, le voilà réalisé.




Marc de SMEDT.

jeudi 23 juin 2011

Entretien avec Taisen DESHIMARU.




Entretien avec Taisen DESHIMARU, propos recueillis par Marc de Smedt, paru dans la revue "Nouvelles clés".



Dans cet entretien effectué peu avant sa mort en 1982, le grand maitre zen (DESHIMARU) nous parle de la méditation comme voie pour équilibrer notre entité psychosomatique aux prises avec les pollutions extérieures et intérieures. Ce mondo privé (questions-réponses) eut lieu un soir dans son appartement. Nous avons tenu à garder, dans la traduction de son anglais, toute la saveur abrupte de qu'il appelait son "zenglish".







Nouvelles Clés : quel est l'acte qui importe le plus dans le zen?



Maitre Taisen DESHIMARU : La posture. C'est la posture de méditation qui est la plus importante. Le zazen.



NC : Pourtant, il est dit que le zen n'a rien à voir avec la position couchée, assise ou debout?



TD : Oui, l'esprit du zen transcende toutes les catégories. Mais on dit aussi que le zen, c'est zazen, que la posture elle-même est satori, éveil.



NC : comment expliquer cela?



TD : Nous sommes sans cesse en train de courir, de penser, d'errer à, la recherche de quelquechose.

Se mettre dans la posture, faire zazen, permet d'arrêter le mouvement, de stopper le processus de fuite en avant, ce processus qui fait que l'on se retrouve à l'heure de sa mort en ayant gâché sa vie dans l'illusion de la vivre.



NC : Le zen, c'est donc l'arrêt du geste?



TD : Avant tout, il faut arrêter les habitudes, stopper le déroulement du Karma, cet enchainement des causes et des effets dans notre vie quotidienne, le laisser filer loin de nous comme des nuages filent au-dessus de la montagne sans jamais l'emprisonner. Une partie du malheur de l'humanité vient du fait que les gens ne savent pas se libérer de l'emprise de leur karma, de l'attachement à leur histoire personnelle.



NC : Mais le karma, c'est aussi la famille, les enfants, les amis, le travail. On ne peut abandonner tout cela ...



TD : Il ne s'agit pas d'abandonner mais de lâcher-prise... Quand on dit que les moines doivent abandonner leur famille cela ne veut pas dire qu'ils doivent la laisser mourir de faim. Non. Il s'agit en fait de ne plus être attaché à l'esprit des choses, d'avoir une certaine distance par rapport aux émotions qu'elles suscitent. La compassion n'est pas sentimentalisme geignard, mesquin et confortable mais vrai amour qui aide. Et puis le karma est à l'oeuvre dans notre cerveau : karma du passé, du présent et du futur s'y mélangent, donnent une vraie soupe nauséabonde! Vous connaissez l'histoire de la vieille vendeuse de gâteaux qui dit au jeune moine qui vent en acheter un : "Avec quel esprit allez-vous manger ce gâteau? Avec l'esprit du passé, du présent ou du futur? Le jeune moine s'enfuit car il est trop sot pour répondre! Le karma est aussi créé par le trop-plein de pensées, de désirs, de rêves qui s'agitent dans nos têtes. la plupart des gens font ainsi avec plus de sexe avec leur tête qu'avec leur bol ou leur bâton !! (rire tonitruant).

La posture immobile permet de couper le karma. Je dis toujours : laisser passer les pensées comme les nuages dans le ciel, laissez passer, passer, passer... il faut épuiser le trop-plein de pensées, alors le cerveau peut recevoir de nouvelles informations. Une bouteille pleine ne peut plus rien contenir; une bouteille vide, oui. Mais pour bien laisser passer, il faut se concentrer sur la posture de méditation : dos droit, bassin basculé, nuque droite, pouces qui ne doivent faire ni montagne ni vallées, yeux mi-clos, se concentrer sur l'expiration la plus longue possible jusque dans le hara, le kikai-tandem, l'océan de l'énergie qui se situe dans l'abdomen. Vos postures ne doivent pas être comme des bouteilles de bières éventées! Elles doivent être fortes, riches, belles, alors l'harmonie en vous la sagesse apparaît. La vraie sagesse se trouve dans l'effort de l'immobilité. L'effort juste est le plus important.



NC : Quelle différence entre le raja yoga et le zazen? C'est finalement toujours de la méditation, jambes croisées en lotus ou demi-lotus!




@ suivre.....

dimanche 19 juin 2011

Les trois sceaux du bouddhisme

Le bouddhisme décrit la temporalité par la phrase: « Toutes choses sont impermanentes », ce qui veut dire que toutes les choses sont en état de flux continu. Toute matière qui du point de vue du sens commun parait avoir une existence permanente, fixe est dans un état de mouvement, soumise à un changement ininterrompu et irradiant de l’énergie. De ce fait, chaque moment est un segment sacré qui ne peut être répété. Notre vie n’arrive qu’une fois. Il ne peut y avoir aucune expérience pour nous en dehors de celle de notre vie présente. Il est donc essentiel de faire naître dans nos cœurs le vœu fervent de réaliser l’éveil.


Le bouddhisme utilise les termes « innen shô » littéralement « venir à l’existence en raison de causes directes et indirectes » et « engi » signifiant « provenir d’une cause ». Engi montre que toutes les choses sont interdépendantes et que rien ne peut exister séparément. L’une est soutenue par l’autre et à son tour la soutien. Chaque chose joue son rôle pour former la chaîne de la totalité. La relation entre l’individu et la société est également soumise à cette loi. Le bouddhisme ne reconnaît pas une existence fixe, permanente, mais seulement l’existence d’un ensemble de relations. D’un point de vue religieux nous sommes amenés à conclure que si nous pouvons vivre en paix, c’est bien grâce à un soutien extérieur et aux bienfaits de la société dont nous jouissons. C’est donc un devoir naturel de l’Homme d’exprimer sa gratitude pour ces bienfaits. La compréhension d’ éveillera en nous un sens profond de la gratitude et nous conduira à la pratique de « rita-gyô », littéralement « être utile aux autres » car elle nous permettra de voir à quel point nous profitons des bienfaits des autres.


Le bouddhisme enseigne également qu’il n’y a pas d’ego ou d’âme séparée du corps. Comme rien n’a d’existence permanente, il est insensé de s’attacher aux choses. Le bouddhisme considère le désir centré sur le moi et l’ignorance de la vraie nature des choses comme la source du mal. La loi de l’impermanence proclame que rien n’a d’existence réelle (au sens d’invariante) et que nous devons éviter toutes paroles et toutes actions qui ont tendance à nous attacher aux choses. D’un point de vue religieux toutes les actions qui proviennent du désir d’obtenir un gain personnel sont considérées comme trompeuses. Notre Vrai Moi apparaît lorsque nous abandonnons notre moi cupide, notre intérêt égoïste. On peut voir cela comme le point de retournement du moi, ou comme une réforme fondamentale dans notre vie.
« Si l’on peut renoncer à une chose aussi petite que le moi, alors on peut saisir une chose aussi vaste que l’univers » Sôjô - 384-414).


Chacune de ces trois idées fondamentales (Toutes choses sont impermanentes, toute chose provient d’une cause, toutes choses sont dépourvues d’un soi) contient les deux autres. Et quand nous expérimentons profondément ces lois avec notre corps et notre esprit, nous pouvons réaliser la paix du nirvana. Cette paix est un état d’esprit absolument paisible, que l’on atteint grâce à l’Eveil qui surmonte l’ignorance et éteint les flammes de la convoitise, en développant en nous une compassion pleine de sagesse.




La compassion et la sagesse sont les deux piliers de la vérité. La sagesse signifie connaître la vraie nature de l’univers et de la vie humaine; la compassion signifie embrasser toutes les choses et n’en rejeter aucune.

Les trois « lois » ci-dessus sont désignées sous le vocable de « Trois sceaux du bouddhisme » parce qu’elles représentent ses caractéristiques les plus essentielles.


Mais le zen ne se contente pas de reconnaître ces lois sur un plan conceptuel. Il insiste sur la nécessité de les expérimenter concrètement !



(Selon Kohô Chisan: Le bouddhisme zen Sôtô ed Sully).

vendredi 10 juin 2011

Extrait du FUKANZAZENGI de DOGEN : suite et fin.

6. A l'endroit où vous avez l'habitude de vous assoir, étendez une natte épaisse et placez un coussin dessus. Asseyez-vous en lotus ou bien en demi-lotus. Dans la posture du lotus, placez d'abord votre pied droit sous votre cuisse gauche, et votre pied gauche sur votre cuisse droite. Dans la position du demi-lotus, vous vous contentez de presser votre pied gauche contre votre cuisse droite. Desserez vos vêtements et votre ceinture, puis arrangez-les décemment. Placez votre main droite sur votre pied gauche et votre main gauche sur votre main droite; les extrémités des pouces se touchent.



7. Asseyez-vous bien droit, dans une posture correcte, ni penché à gauche, ni penché à droite, ni en avant, ni en arrière. Assurez-vous que vos oreilles sont dans le même plan que vos épaules et que votre nez se trouve sur la même ligne verticale que votre nombril. Placez la langue en avant contre le palais; la bouche est fermée et les dents se touchent. Les yeux doivent rester toujours ouverts et vous devez respirez doucement par le nez. Quand vous avez pris la posture correcte, respirez profondément une fois, inspirez et expirez. Inclinez votre corps de droite à gauche; et immobilisez-vous dans une position assise stable. Pensez "sans penser".



8. Comment? En utilisant le non-penser? C'est aller au-delà de la pensée, cela en soi est l'activité essentielle du zazen. Le zazen dont je fais mention n'est pas l'apprentissage de la méditation, mais le Dharma qui procure la paix et le bonheur, la pratique et la réalisation d'un éveil parfait. Zazen est l'expression de l'ultime réalité. Les pièges et les filets ne peuvent pas le capturer. Une fois que vous avez saisi son essence, vous êtes comparables au dragon quand il entre dans l'eau et analogue au tigre quand il s'enfonce dans la montagne. A l'instant où on pratique zazen et que l'on rejette toute distraction et laisse aller tant le mental que le physique, le vrai Dharma se manifeste.



9. Quand vous vous relevez, bougez doucement et sans vous hâter, restez calmes mais volontaires. Evitez d'être brusques. Quand on se réfère au temps jadis, on constate que la transcendance de l'éveil et du non-éveil, que mourir en position assise ou debout, ont toujours découlés de la fermeté du zazen pratiqué.



10. L'ouverture à l'éveil occasionnée par un doigt, une bannière, une aiguille, un maillet, la réalisation grâce à un chasse-mouches, un poing un bâton, un cri, tout cela ne peut être saisi pleinement ni par la pensée rationnelle, ni par l'exercice de pouvoirs surnaturels. C'est au-delà de ce que l'homme peut entendre et voir, un principe qui précède les connaissances et les perceptions.


11. Il importe peu que l'on soit ou non intelligent. Il n'y a pas de distinction entre un sot et un quelqu'un qui ne l'est pas. Quand on concentre son effort d'un seul esprit, cela en soit est négocier la voie. La pratique et la réalisation sont pures par nature. Avancer sur la voie est une affaire de persévérance.


12. Ce monde et d'autres, en Inde ou en Chine, respectent dans l'ensemble le sceau de Bouddha. Ce qui prime dans cette école est la dévotion à la méditation assise tout simplement, s'asseoir immobile dans un engagement total. Il est dit qu'il y a autant d'âmes que d'hommes, tous négocient la voie par la pratique de zazen. Pourquoi abandonner les privilèges du fils de maison pour errer sur les routes poussiéreuses? Un seul faux pas, et vous vous écartez du chemin qui est tout tracé devant vous.


13. Vous avez cette chance unique de prendre une forme humaine; ne perdez pas votre temps. Vous apporterez votre contribution à l'ouvrage de la voie du Bouddha. Qui prendrait un plaisir vain à la vue de l'étincelle qui jaillit du silex? Forme et substance sont comme la rosée sur l'herbe et la destinée semblable à un éclair. Ells s'évanouissent toutes en un instant.


14. Je vous en prie, honorés disciples du zen, accoutumés à palper l'éléphant dans l'obscurité, ne craignez pas le vrai dragon. Consacrez vos énergies à la voie qui indique l'absolu. Respectez l'homme qui a réalisé et qui se situe au-delà des actions des hommes. Suppléez à la succession légitime du satori des Patriarches. Adoptez cette conduite et vous serez comme eux. Votre salle au trésor se donnera à vous et vous en userez comme bon vous semblera.

mardi 7 juin 2011

Gratitude

Quelqu’un qui avait décidé d’en finir avec la vie entra dans la montagne. Après avoir choisi une grosse branche, il y accrocha une bonne corde. Il fit ensuite passer son cou dans le nœud coulant. Au moment où il s’apprêtait à se laisser pendre dans le vide, il s’aperçut qu’une de ses sandales commençait à glisser de son pied. Il remarqua que ce dernier faisait des efforts inconscients pour empêcher la sandale de se décrocher. C’est ainsi qu’il se rendit compte qu’une partie de lui-même avait sa propre existence et ne s’intéressait en aucune façon aux pensées égocentriques qui l’avaient violement agité quelques secondes auparavant. Il abandonna alors l’idée du suicide.

Eiichi Enomoto a écrit ce poème intitulé Bernard l’ermite :

Cette coquille ce n’est pas moi qui l’ai créée.
L’empruntant au ciel et à la terre,
Je vis jour après jour.


La vie de chacun de nous est une combinaison de ce qui nous est prêté et de ce qui nous est donné. Sans l’aide des forces du ciel et de la terre, nous ne pourrions pas vivre, pas même un instant. Nous ne pourrions ni parler, ni voir, ni bouger, ni faire fonctionner le cœur ou l’estomac. Si seulement nous pouvions nous rendre compte au moins de cela…

D’après Shundô Aoyama. « Le zen et la vie » ed Sully.

samedi 4 juin 2011

L'écho de l'ego

Supposons qu'un bateau traverse la rivière et qu’un autre bateau,
vide celui-là, risque d'entrer en collision avec lui. Même un homme au
tempérament irritable garderait son sang-froid.
Supposons maintenant qu'il y ait eu quelqu'un à bord du second
bateau. L'occupant du premier bateau lui crierait tout de suite de
dégager la voie. S'il n'obtenait pas de réponse, même au bout de deux
ou trois interpellations, cela finirait inévitablement par une bordée
d'injures.

Dans le premier cas, rien ne se passe, dans le second, il se produit une réaction de colère. Tout cela parce que, dans le premier cas, le bateau est vide et que, dans le second, il est occupé.


Il en va de même pour l’homme. Si seulement l’homme pouvait suivre le cours de la vie tel un esquif vide, qui donc serait en mesure de l'insulter ?

Tchouang Tseu - philosophe taoïste chinois IVème siècle avant J-C